LES
CAHIERS DU MIM
N°2
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Eymogrammes,
instantanés, UST
:
cheminements
d'une plasticienne
Texte de Lysey, Philippe Barrère et Marcel Frémiot
Les
Cahiers du MIM sont destinés à faire connaître l’état de notre
recherche sur tel ou tel point de nos travaux. Comme dans tout
domaine de recherche, cet état ne peut être qu’une vérité
sujette à être remise en cause. Aussi espérons-nous de nos
lecteurs d’éventuels retours afin que les problèmes abordés
puissent progresser vers de plus satisfaisantes réponses. Le site du
MIM contient une page à cet effet.
Nous
avons admis, comme hypothèse sérieuse de travail, que les Unités
Sémiotiques Temporelles, issues d’analyses d’œuvres musicales
de différentes époques, pouvaient être des « mêmes »1,
des universaux. Des travaux menés par des laboratoires de sciences
cognitives de l’Université Paris 82
ont montré qu’il s’agissait d’une réalité, au moins dans le
monde de culture dite occidentale.
Jacques
Mandelbrojt, peintre, après s’être joint à l’équipe des
musiciens fondateurs du MIM, a montré que les UST pouvaient trouver
un avatar en ce qu’il a appelé des Unités Sémiotiques
Spatio-Temporelles. Ces USST pouvaient être utiles aussi bien pour
l’analyse que pour l’aide à la création plastique.
En ces années où triomphe le multimédia, les discours sur les
rapports que peuvent entretenir la musique et les arts plastiques
sont devenus à la mode. Il est vrai que sont nombreuses et les plus
diverses les « entrées » pouvant mener à des prises de position
quant aux rapports entre ces disciplines.
Dès les années 1970 de futurs membres du MIM, Dora Feïlane,
chorégraphe, Bernard Point, peintre, et Marcel Frémiot,
compositeur, avaient travaillé deux années durant pour proposer ce
qu’ils avaient alors appelé Synesthésies. Il s’agissait d’une
recherche de base entre formes colorées, gestes chorégraphiques et
objets sonores selon le solfège schaefferien. Les résultats,
quelque peu théorisés, de ces travaux avaient donné lieu à une
mise en pratique au cours d’un spectacle, du même nom, présenté
au Lucernaire, à Paris. Plus tard, Bernard Vecchione, alors
président du MIM, développant une analyse initiée à la Faculté
d’Aix en Provence, montrait les possibles rapports étroits entre
architecture, musique et idéologie sociale et politique3.
Dans une tout autre problématique, Michel
Philippot4,
dans un grand tableau, avait peint un arbre épanoui manifestement en
synesthésie avec la technique dodécaphonique des années 1950.
Le présent cahier expose le vécu d’une
plasticienne, venue au MIM pour mettre à l’épreuve sa pratique
courante de dessiner sous l’impulsion d’écoutes musicales. Ici,
pas de discours théorique. Mais sans poudre aux yeux, l’exposé de
sa pratique, et ses réflexions induites et l'exposé aussi de ce que
lui apportent les UST qui, par sa présence au MIM, l’ont
rattrapée.
Au long de ces pages, le
lecteur pourra découvrir une pratique de rapports musique-arts
plastiques ou comment une création plastique en devenir et UST
musicales peuvent interférer ; et, en retour, ce que peut apporter
une possible analyse en UST d’une création plastique
aboutie.
Marcel Frémiot
LYSEY
Pour ce
second cahier du MIM, nous avons donc choisi de donner la parole à
Lysey, jeune artiste, qui mène de front un déjà riche parcours
d’expositions en France et à l’étranger avec un travail de
recherche sur le geste créatif, en particulier au sein de notre
laboratoire.
Lysey dessine sur de la
musique, on pourrait dire dessine la musique. Or, le principal outil
développé par le MIM, les Unités Sémiotiques Temporelles (UST), a
été conçu pour l’analyse musicale5.
Par ailleurs, aiguillonnés par un autre plasticien du MIM, Jacques
Mandelbrojt, nous nous sommes orientés vers une réflexion relative
à l’usage possible des UST dans les disciplines artistiques
non-musicales, notamment la peinture et les arts graphiques6.
On le voit, avec Lysey, nous sommes à la croisée de ces deux
chemins.
Analyser le geste du
plasticien à l’aide des UST est complexe car, une fois l’œuvre
achevée, ce geste ne peut plus être qu’imaginé, suggéré par le
tracé final. Le temps de la création est figé dans l’œuvre qui
apparaît d’un bloc. Une des particularités du travail de Lysey
est qu’elle filme en continu la réalisation de toutes ses
créations, son travail en train de naître, ce qu’elle nomme ses
eymogrammes. Le geste créatif du plasticien devient visible.
Et comme son dessin jaillit de la musique nous retrouvons un terrain
connu…
Ce cahier aurait pu également
s’appeler dessins et desseins
car Lysey s’est aussi beaucoup
interrogée, en cette « année Darwin »7,
sur l’origine des formes graphiques de ses œuvres, sur leur
évolution, sur les choix inconscients qu’elle effectue entre les
tracés possibles. C’est aussi une des préoccupations du MIM avec
l’organisation du colloque "Les
arts dans le cadre actuel de la théorie darwinienne de l'évolution"
et, de manière
générale, une réfexion sur l’évolution dans
les arts.
Après avoir collaboré avec
deux galeries de Barcelone, Lysey a consacré l’année 2008 à un
parcours Messiaen qui l’a menée d’Avignon (lieu de naissance
du compositeur) à La Meije (source essentielle de son inspiration)
et à l’Institut Culturel Franco-Allemand de Dresde (où Lysey a
exposé ses eymogrammes tirés du Quatuor
pour la fin du temps, œuvre
majeure composée pendant la guerre dans le camp du Görlitz tout
proche). En 2009, Lysey expose pour la première fois ses
instantanés.
EYMOGRAMMES
& INSTANTANÉS
Lysey se
définit souvent comme graphiste interprète. Elle a créé le terme
eymogramme formé de « emo »
(émotion) avec le « y » de Lysey et
de la racine grecque « gramma » signifiant « tracé ». Un eymogramme
est donc un tracé émotionnel dessiné à l’écoute d’une œuvre
musicale, sans écoute préalable, en direct et sans aucune retouche
ultérieure. Pendant qu’elle dessine, la main de Lysey est
systématiquement filmée, et l’on voit les dessins jaillir aux
rythmes de la musique. Ces dessins sont constitués de graphèmes
très simples et schématiques, à la façon d’une écriture aux
mille caractères. Beaucoup de ses eymogrammes ont été réalisés
en live lors de concerts publics, la vidéo y est projetée sur
écran et Lysey devient alors une interprète à part entière du
concert.
Plus tard, parfois
longtemps après la réalisation de l’eymogramme, Lysey examine ses
feuillets avec un regard différent, celui de l’esthète. Elle va
choisir, parmi les innombrables graphèmes à sa disposition, ceux
qui, isolés ou composés, lui paraissent les plus réussis. Les
formes les mieux abouties et les plus pures : elle les isole et se
les réapproprie sous le terme d’instantanés (car ce sont à la
fois des petits morceaux d’instants musicaux magiquement fixés sur
le papier et des instantanés au sens photographique du terme, Lysey
les photographie et les classe dans sa photothèque informatique). Il
s’agit d’un choix esthétique purement personnel. Les
instantanés, formes fétiches de Lysey, sont ensuite librement
utilisés par elle dans des créations plastiques photographiques ou
sérigraphiques avec ou sans lien avec le monde de la musique, selon
son inspiration. D’une œuvre jaillissante et spontanée, avec les
eymogrammes, on passe, avec les instantanés à une œuvre construite
et réfléchie.
Extrait d’eymogramme d'après Des
Canyons aux étoiles d’Olivier Messiaen. Temps de
réalisation du feuillet : 15 secondes.
… et trois
instantanés choisis dans le feuillet et
agrandis
(cliquer sur l'image ci-dessous pour les visualiser l'un après
l'autre) :
LYSEY
& LES UST
ENTRETIEN
MiM — Vous menez une recherche en lien avec les UST au sein du MIM,
de quoi s’agit-il ?
Lysey — Je suis
une spectatrice étonnée de mon travail. La réalisation d’un
eymogramme est quelque chose qui relève essentiellement de
l’inconscient. Selon le tempo qu’il peut y avoir, jusqu’à des
centaines de temps à la minute, mon crayon tente d’en suivre le
rythme. Autant dire que je n’ai pas le temps de réfléchir…
Alors, après coup j’examine mes dessins et je m’interroge sur
leur production. La découverte au MIM, de l’outil des UST a été
très enthousiasmante. En effet, avec mes eymogrammes j’ai
l’impression de faire de la musique, de la réinterpréter ou si
vous voulez, de la transcrire pour un nouvel instrument, le crayon,
sanguine ou sépia. J’allais donc pouvoir analyser mes œuvres,
mieux les comprendre en même temps que je comprendrais mieux la
musique, n’étant pas moi-même musicienne. J’ai décidé
d’approfondir la question par un thème de recherche au sein du
MIM.
MiM — Quelle méthode
de recherche avez-vous adoptée ?
Lysey —
C’est une démarche en quatre étapes : D’abord j’observe sur
les dessins provenant de mes eymogrammes (hors écoute musicale)
quels sont les groupes de graphèmes qui se ressemblent ou semblent
organisés dans l’espace de manière similaire. Je pratique ces
observations sur des eymogrammes d’origine musicale très diverses,
Grieg, Messiaen, Beatriz Ferreyra, Cage, Ravel, Albeniz… J’isole
et je photographie les groupes de graphèmes ainsi repérés. Comme
la création de mes eymogrammes est systématiquement filmée, je
dispose en même temps des graphèmes sélectionnés et de la
musique correspondante. En écoutant de manière séquentielle les
échantillons musicaux correspondant aux groupes de graphèmes
semblables, je suis alors en mesure de répondre à deux questions
complémentaires :
1. Les groupes de graphèmes similaires
ont-ils été générés par des passages musicaux comportant des
similitudes ?
2. Ces passages musicaux correspondent-ils à des
UST semblables ?
MiM — Êtes-vous
parvenue à des premières conclusions ?
Lysey — Ce serait très prétentieux. Ce travail est long et je
n’en suis pas forcément la meilleure juge étant impliquée à la
fois dans le geste et son analyse. Je pense toutefois être parvenue
à déterminer des séries de graphèmes qui peuvent se rapporter à
des UST particulières. Je suis assez exigeante : je ne me contente
pas de dessins qui ont été réalisés à l’écoute d’un passage
musical correspondant à telle ou telle UST, il faut, de plus, que le
dessin obtenu puisse visuellement parler à l’imagination et
"donner à voir" l’UST musicale. Ce que je peux dire
d’ores et déjà c’est que les UST "délimitées dans le
temps" (elles sont au nombre de 9) peuvent se retrouver dans mes
graphèmes ou dans mes instantanés. Il s’agit de temps musicaux
qui n’excèdent pas quelques secondes et qui correspondent donc à
quelques traits de mes dessins. Les UST "non délimitées dans
le temps" correspondent à un processus plus long et qui doit
être perçu comme tel par l’auditeur. C’est alors plutôt la
disposition de mes graphèmes sur le feuillet, le rythme général de
mon écriture graphique examiné sur un temps assez long ou
l’atmosphère, l’impression d’ensemble qui se dégage du
feuillet qui peuvent se rapporter à ce type d'UST. J’ai plus de mal
avec ces
dernières. Avec deux exceptions
notables : l’UST Obsessionnel
qui correspond avec évidence à mes feuillets réalisés par exemple
à l’écoute de certaines œuvres de Terry Riley, et de Trajectoire
inexorable qui est une UST correspondant bien à certains de mes
états intérieurs et sur laquelle j’ai pu réaliser des dessins
très significatifs et que j’aime beaucoup.
MiM — Cette notion de temps est importante ?
Lysey — Elle est à la base de toute création artistique et c’est
pourquoi les UST, dans leur forme actuelle ou sous une forme adaptée
peuvent constituer un outil d’analyse (voire de création) assez
universel. Dans La recherche du temps perdu, il y a "la petite
phrase de Vinteuil", ce passage musical qui agit sur Swann comme
la madeleine sur Proust, lui permet d’accéder à l’intemporel
et, donc, contribue à faire de sa vie une œuvre d’art. La petite
phrase de Vinteuil c’était une séquence musicale particulièrement
efficace en tant que catalyseur émotionnel. Qu’ils l’admettent
ou non tous les artistes aspirent à suspendre ainsi le temps. Figer,
fixer, emprisonner un petit morceau d’éternité, c’est ce que je
tente de faire avec mes instantanés : quelque chose de très simple,
presque archaïque, qui puisse être accessible et parler à
chacun.
Obsessionnel
Deuxième
feuillet (sur 21) de l’eymogramme d’après Play in C
inspirée de In C de Terry Riley
Trajectoire
inexorable
Dernier feuillet de
l’eymogramme d’après Combat de la mort et de la vie, Les
Corps Glorieux d’Olivier Messiaen
Jon
Gillock, organiste américain, a écrit un commentaire sur ce
deuxième dessin qui doit paraître dans son dernier livre Performing
Messiaen’s Organ works, 66 Masterclasses : « The second part of
Combat de la mort et de le vie, a dialogue between Father and Son,
represents the resurrection, Eternity, in which the interpreter is
directed to perform "extremely slowly, tenderly, Serenely
(...)". In this last image, where the two answering solo lines
merge into one two-note harmony, Lysey captures the sunny warmth of
this Divine Love and images of father and son become one single
reflection, with rays of light and love descending uncaesingly as the
final chord of the piece is sustained into time whitout end. ».
Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’Indiana
University Press.
Qui avance
D’après le
Boléro de Ravel
Elans
D’après
Murmureln de Beatriz Ferreyra
Un
extrait de cet eymogramme est visible ici
INSTANTANÉS
(cliquer sur l'image ci-dessous pour visualiser les 13
instantanés) :
INSTANTANÉS
&
DARWINISME
MENTAL
Comment naissent les formes des eymogrammes et instantanés de Lysey ?
Ou comme elle le dit avec un petit
hochement de tête dubitatif : « Comment ça sort de moi tout ça ? ».
Il est vrai que le spectacle de Lysey au travail a quelque chose
d’incroyable. Une multitude de signes, de personnages stylisés, de
groupes de formes explosent sur le papier au rythme exact de la
musique. C’est de la créativité à jet continu. Chaque signe est
intéressant, la plupart sont gracieux ; certains exceptionnels de
pureté : ce sont ceux-là que Lysey appelle ses instantanés. Pour
mieux comprendre, nous avons pris le temps de refaire l’historique
de la création de ses formes.
Au tout
début, dessiner était pour Lysey le seul moyen de se concentrer
totalement sur l’écoute musicale, « d’entrer dedans » comme
elle dit, et d’éliminer toute pensée ou parasite extérieur. Elle
dessinait déjà au rythme de la musique mais son dessin était très
systématique. Il s’agissait d’un minuscule personnage qu’elle
commençait par la tête et prolongeait plus ou moins schématiquement
par un corps et des membres selon que le morceau dessiné était à
2, 3 ou 4 temps. On pourrait appeler ce graphème (pour employer un
terme habituel de Lysey) la « forme mère » ou « forme
matrice ».
Puis, assez rapidement mais de manière
progressive, Lysey a libéré sa créativité : son répertoire de
formes s’est élargi. Le personnage du départ s’est vu adjoindre
un personnage parfois plus « féminin » par l’ajout d’un trait
suggérant une longue chevelure ; les personnages ont occupé plus de
place sur la feuille ; ils sont devenus groupes ; les formes sont
devenues plus simples ou au contraire plus complexes ; elles sont
parfois purement abstraites…
Début
2008, Lysey se rapproche du MIM et découvre les UST. Elle constate
alors, en participant à des séances d’analyse musicale à l’aide
de cet outil que ses graphèmes n’apparaissent pas au hasard, que
leurs récurrences sont celles de la musique, qu’il y a sans doute
des correspondances répétitives entre ses formes, leurs
arrangements et les UST contenues dans les morceaux dessinés. De
manière certaine, des liens forts existent entre les émotions
musicales ressenties et les formes exprimées par Lysey.
Cette même année, Lysey
commence à travailler sur la notion d’instantané. En effet, elle a
constaté qu’une forme nouvelle qui apparaît dans son
travail est généralement d’abord assez grossière, puis s’affine
et parfois devient vraiment belle, comme par un miracle de l’instant.
Lysey a eu envie de se les approprier, une seconde fois, mais en
toute conscience. Elle a eu aussi envie de leur donner une identité
en les nommant. L’instantané est donc un choix : du dessin
inconscient on passe au dessein de l’artiste.
Fin 2008, à l’initiative de
Jacques Mandelbrojt, le MIM se rapproche du professeur Jean-Pierre
Changeux qui dirige le laboratoire de neurobiologie moléculaire de
l’Institut Pasteur, afin d’organiser une manifestation commune
dans le cadre de l’année Darwin. Après les UST, Lysey trouve dans
le « darwinisme mental » une deuxième clé pour
la boite à
mystères de sa créativité. Raison et
plaisir, ouvrage dans lequel
Jean-Pierre Changeux applique sa réflexion de biologiste au
phénomène de la création artistique, semble avoir été écrit
pour elle :
« Le modèle Darwinien, sous sa forme la plus générale, se fonde sur un générateur interne de diversité (…) Il comporte également un mécanisme de sélection qui retient certaines combinaisons et élimine les autres. »8
« L’artiste fait appel à des images et représentations "mnémoniques", à un vocabulaire de formes et de figures qui se sont stabilisées dans sa connectivité cérébrale au même titre que sa langue maternelle au cours d’un long processus d’épigenèse par sélection de synapses qui marque chaque individu d’une trace particulière. »9
Au fil des
innombrables
eymogrammes qu’elle a dessinés, de ces centaines d’heures de
travail à sa table à dessin, concentrée sur la musique et dont
elle sort le plus souvent épuisée, Lysey a créé peu à peu sa
bibliothèque idéale de formes. Chaque fois de nouvelles formes se
présentent, variations des précédentes ou formes mutantes,
certaines sont conservées, améliorées inconsciemment et peuvent
espérer devenir un jour des instantanés, c’est ce que Jean-
Pierre Changeux appelle des « mêmes »10
; d’autres sont vite rejetées, éliminées car elles ne s’avèrent
pas adaptées à l’expression correcte des émotions musicales de
Lysey.
Visuelle plus
qu’abstraite,
comme la plupart des artistes plasticiennes, Lysey est maintenant à
la recherche d’un laboratoire d’imagerie cérébrale disposant
d’un dispositif suffisamment ambulatoire pour pouvoir observer ce
processus de génération/ élimination au travail sur son propre
cerveau pendant la réalisation d’un eymogramme.
Série de « formes matrices »
Me
voici |
Croix
vivante |
Ange
qui avance |
Ce « même » (images
ci-dessous) représente une figure en deux parties avec à chaque
fois des variations de formes dues aux différentes interprétations
musicales dont elles sont issues, tout en gardant la même structure
graphique. Sa forme la plus aboutie (image 7) est la première que
Lysey a découverte dans un des feuillets de l’eymogramme d’après Sept Haïkaï d’Olivier Messiaen. On
retrouve bien
l’atmosphère japonisante dont s’est inspirée Messiaen et
l’impulsion calligraphique donnée à ce signe à la forme épurée
et harmonieuse. Elle l’a appelé « sérénité ».
(cliquer
sur l'image pour visualiser les 7 figures) :
UST
/ INSTANTANÉS
UN VOYAGE DANS L’ESPACE ET LE
TEMPS
DESSINER UN ESPACE MUSICAL
N’ayant aucune
formation
musicale, j’ai eu beaucoup de mal, lors des premières séances
d’analyse, à reconnaître une ou plusieurs UST dans une œuvre
simplement en l’écoutant. Ma main avait besoin de dessiner chaque
passage mélodique afin de mieux l’appréhender auditivement. Je me
suis vite rendue compte que les personnages qui apparaissaient sur la
feuille pouvaient suggérer des attitudes morphologiques
correspondant aux UST. En effet, ils semblent évoluer sur le papier,
dans une chorégraphie où les danseurs adapteraient au fur et à
mesure leurs gestes au rythme et à la mélodie.
Mes dessins peuvent paraître figés mais si je plonge à l’intérieur, si je parcellise, si je zoome sur des détails, je retrouve les idées, les sentiments, les émotions qui me permettent de saisir des nuances de temps, de hauteur, de rythmes et même d’espace, comme à la lecture d’une partition musicale.
TRACER UN ITINÉRAIRE DE LA
MUSIQUE
Lorsque je dessine,
le temps
défile sur ma feuille et ma main, dans une vraie course poursuite,
essaie de voyager avec la musique qui n’attend personne.
L’eymogramme obtenu pourrait
ainsi représenter l’itinéraire de la musique, les départs, les
arrivées, les rencontres, les passages par tous les points
remarquables que l’on peut trouver sur une carte topographique. Au
milieu de tous ces tracés, flottent dans l’invisible des énergies
qui grandissent, se dispersent, se transforment.
A LA RENCONTRE DES ÉMOTIONS
Bien entendu, quand
j’analyse
avec l’équipe du MIM un morceau de musique en UST et que je le
réécoute par la suite, je suis beaucoup plus attentive à
l’articulation des temps musicaux et à la direction vers laquelle
veut m’amener le compositeur. Mais, quand je repère un instantané
dans mes dessins, je sais déjà, avant même d’avoir réécouté
l’extrait musical correspondant que je me trouve à un moment-clé
de l’œuvre où tout ce qui a précédé a travaillé ma
sensibilité et généré un point d’acmé dans l’enchaînement
que constitue l’eymogramme.
Un instantané
survient un peu
comme la ponctuation émotionnelle de la musique ; il marque un
passage de grande intensité, un changement radical, une amorce, une
fin provisoire ou un final annoncé…
Bien souvent ce sont les temps de
silence qui marquent eux-mêmes la cadence musicale, qui sont les
plus fructueux en instantanés. J’aime cette phrase de Maurice
Maeterlinck qui dit que : « Le silence est l’élément dans lequel
se forment les grandes choses, pour qu’enfin elles puissent
émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie
qu’elles vont dominer. »11
Ô temps suspends ton vol
qui s’accompagne d’un diaporama d’instantanés,
diffusée lors du concert du MIM
« Entrevoir entre temps », février 2009 :
TENTATIVES
DE CORRESPONDANCES
UST / GRAPHÈMES
Cette page d’eymogramme a été
réalisée sur les 29 premières secondes de l’écoute du morceau
Sequenza III d’après Luciano Berio. Le tableau ci-dessous
indique dans quel ordre a été réalisé ce dessin et tente une mise
en correspondance entre l’interprétation graphique réalisée par
Lysey du début de cette œuvre et l’analyse en UST effectuée au
sein du laboratoire MIM (l’analyse complète est visible sur notre site,
ici).
On peut remarquer une bonne
adéquation entre les formes graphiques obtenues et la définition
des UST. Par exemple, pour l’UST Trajectoire inexorable, le
trait du graphème « donne l’impression de pouvoir se prolonger
indéfiniment. »12.
La description sémantique de l’UST Élan
est : « Projection à
partir d’un appui. »13
: c’est exactement la forme du graphème obtenu à l’écoute de
la musique.
Segment |
Localisation temporelle |
Durée |
Nom de l'UST |
Graphème correspondant |
1 |
0 à 11 sec. |
11 sec. |
|
|
|
11 – 14 sec. |
3 sec. |
Suspension-interrogation |
|
3 |
14 – 18 sec. |
4 sec. |
Élan |
|
4 |
18 – 29 sec. |
|
|
|
1 Notion reprise par Jean-Pierre Changeux dans son live Raison et plaisir, d'après celle inventée par Richard Dawkins (voir aussi la note 10 ci-dessous).
2 En particulier le laboratoire Cognitions Humaine et ARTificielle (CHART) dirigé par Charles Tijus.
3 Analyse du motet Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay (1436), composé à l’occasion de la bénédiction du Dôme de Florence.
4 Michel Philippot fut aussi, avant son décès, président du MIM.
5 Voir notamment le Cahier du MIM n°1 Créer avec les Unités Sémiotiques Temporelles ?
6 Voir les contributions de Jacques Mandelbrojt, Magali Latil, Julie Rousset, Catherine Arnaud et Ludivine Allegue dans l'ouvrage Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, Éditions Delatour/IRCAM, 2008.
7 2009 : 200ème anniversaire de la naissance de Charles Darwin et 150ème anniversaire de la publication de son ouvrage majeur L'Origine des espèces.
8 Jean-Pierre Changeux, Raison et plaisir, Éditions Odile Jacob, Paris, 1994, p. 47.
9 Ibid., p 51.
10 Variation de la notion de meme (sans accent en anglais, mot formé de mimesis et gene) élaborée par Richard Dawkins (cf. son livre The Selfish Gene, Oxford University Press, 1976).
11 Maurice Maeterlinck, Le trésor des humbles, Mercure de France, Paris, 1904, p. 7.
12 Voir Cahier du MIM n°1, p. 21.
13 Ibid., p. 20.