Laboratoire Musique et Informatique de Marseille                                                                                                                        



LES CAHIERS DU MIM
N°2

[peut être commandé sur cette page]

Eymogrammes,
instantanés, UST :
cheminements
d'une plasticienne


Texte de Lysey, Philippe Barrère et Marcel Frémiot


    Les Cahiers du MIM sont destinés à faire connaître l’état de notre recherche sur tel ou tel point de nos travaux. Comme dans tout domaine de recherche, cet état ne peut être qu’une vérité sujette à être remise en cause. Aussi espérons-nous de nos lecteurs d’éventuels retours afin que les problèmes abordés puissent progresser vers de plus satisfaisantes réponses. Le site du MIM contient une page à cet effet.

    Nous avons admis, comme hypothèse sérieuse de travail, que les Unités Sémiotiques Temporelles, issues d’analyses d’œuvres musicales de différentes époques, pouvaient être des « mêmes »1, des universaux. Des travaux menés par des laboratoires de sciences cognitives de l’Université Paris 82 ont montré qu’il s’agissait d’une réalité, au moins dans le monde de culture dite occidentale.

    Jacques Mandelbrojt, peintre, après s’être joint à l’équipe des musiciens fondateurs du MIM, a montré que les UST pouvaient trouver un avatar en ce qu’il a appelé des Unités Sémiotiques Spatio-Temporelles. Ces USST pouvaient être utiles aussi bien pour l’analyse que pour l’aide à la création plastique.

    En ces années où triomphe le multimédia, les discours sur les rapports que peuvent entretenir la musique et les arts plastiques sont devenus à la mode. Il est vrai que sont nombreuses et les plus diverses les « entrées » pouvant mener à des prises de position quant aux rapports entre ces disciplines.

    Dès les années 1970 de futurs membres du MIM, Dora Feïlane, chorégraphe, Bernard Point, peintre, et Marcel Frémiot, compositeur, avaient travaillé deux années durant pour proposer ce qu’ils avaient alors appelé Synesthésies. Il s’agissait d’une recherche de base entre formes colorées, gestes chorégraphiques et objets sonores selon le solfège schaefferien. Les résultats, quelque peu théorisés, de ces travaux avaient donné lieu à une mise en pratique au cours d’un spectacle, du même nom, présenté au Lucernaire, à Paris. Plus tard, Bernard Vecchione, alors président du MIM, développant une analyse initiée à la Faculté d’Aix en Provence, montrait les possibles rapports étroits entre architecture, musique et idéologie sociale et politique3.

    Dans une tout autre problématique, Michel Philippot4, dans un grand tableau, avait peint un arbre épanoui manifestement en synesthésie avec la technique dodécaphonique des années 1950.
   
    Le présent cahier expose le vécu d’une plasticienne, venue au MIM pour mettre à l’épreuve sa pratique courante de dessiner sous l’impulsion d’écoutes musicales. Ici, pas de discours théorique. Mais sans poudre aux yeux, l’exposé de sa pratique, et ses réflexions induites et l'exposé aussi de ce que lui apportent les UST qui, par sa présence au MIM, l’ont rattrapée.

    Au long de ces pages, le lecteur pourra découvrir une pratique de rapports musique-arts plastiques ou comment une création plastique en devenir et UST musicales peuvent interférer ; et, en retour, ce que peut apporter une possible analyse en UST d’une création plastique aboutie.

Marcel Frémiot


LYSEY 


    Pour ce second cahier du MIM, nous avons donc choisi de donner la parole à Lysey, jeune artiste, qui mène de front un déjà riche parcours d’expositions en France et à l’étranger avec un travail de recherche sur le geste créatif, en particulier au sein de notre laboratoire.

    Lysey dessine sur de la musique, on pourrait dire dessine la musique. Or, le principal outil développé par le MIM, les Unités Sémiotiques Temporelles (UST), a été conçu pour l’analyse musicale5. Par ailleurs, aiguillonnés par un autre plasticien du MIM, Jacques Mandelbrojt, nous nous sommes orientés vers une réflexion relative à l’usage possible des UST dans les disciplines artistiques non-musicales, notamment la peinture et les arts graphiques6. On le voit, avec Lysey, nous sommes à la croisée de ces deux chemins. 

    Analyser le geste du plasticien à l’aide des UST est complexe car, une fois l’œuvre achevée, ce geste ne peut plus être qu’imaginé, suggéré par le tracé final. Le temps de la création est figé dans l’œuvre qui apparaît d’un bloc. Une des particularités du travail de Lysey est qu’elle filme en continu la réalisation de toutes ses créations, son travail en train de naître, ce qu’elle nomme ses eymogrammes. Le geste créatif du plasticien devient visible. Et comme son dessin jaillit de la musique nous retrouvons un terrain connu…

    Ce cahier aurait pu également s’appeler dessins et desseins car Lysey s’est aussi beaucoup interrogée, en cette « année Darwin »7, sur l’origine des formes graphiques de ses œuvres, sur leur évolution, sur les choix inconscients qu’elle effectue entre les tracés possibles. C’est aussi une des préoccupations du MIM avec l’organisation du colloque "Les arts dans le cadre actuel de la théorie darwinienne de l'évolution" et, de manière générale, une réfexion sur l’évolution dans les arts.

    Après avoir collaboré avec deux galeries de Barcelone, Lysey a consacré l’année 2008 à un parcours Messiaen qui l’a menée d’Avignon (lieu de naissance du compositeur) à La Meije (source essentielle de son inspiration) et à l’Institut Culturel Franco-Allemand de Dresde (où Lysey a exposé ses eymogrammes tirés du Quatuor pour la fin du temps, œuvre majeure composée pendant la guerre dans le camp du Görlitz tout proche). En 2009, Lysey expose pour la première fois ses instantanés.


EYMOGRAMMES & INSTANTANÉS


    Lysey se définit souvent comme graphiste interprète. Elle a créé le terme eymogramme formé de « emo » (émotion) avec le « y » de Lysey et de la racine grecque « gramma » signifiant « tracé ». Un eymogramme est donc un tracé émotionnel dessiné à l’écoute d’une œuvre musicale, sans écoute préalable, en direct et sans aucune retouche ultérieure. Pendant qu’elle dessine, la main de Lysey est systématiquement filmée, et l’on voit les dessins jaillir aux rythmes de la musique. Ces dessins sont constitués de graphèmes très simples et schématiques, à la façon d’une écriture aux mille caractères. Beaucoup de ses eymogrammes ont été réalisés en live lors de concerts publics, la vidéo y est projetée sur écran et Lysey devient alors une interprète à part entière du concert. 

    Plus tard, parfois longtemps après la réalisation de l’eymogramme, Lysey examine ses feuillets avec un regard différent, celui de l’esthète. Elle va choisir, parmi les innombrables graphèmes à sa disposition, ceux qui, isolés ou composés, lui paraissent les plus réussis. Les formes les mieux abouties et les plus pures : elle les isole et se les réapproprie sous le terme d’instantanés (car ce sont à la fois des petits morceaux d’instants musicaux magiquement fixés sur le papier et des instantanés au sens photographique du terme, Lysey les photographie et les classe dans sa photothèque informatique). Il s’agit d’un choix esthétique purement personnel. Les instantanés, formes fétiches de Lysey, sont ensuite librement utilisés par elle dans des créations plastiques photographiques ou sérigraphiques avec ou sans lien avec le monde de la musique, selon son inspiration. D’une œuvre jaillissante et spontanée, avec les eymogrammes, on passe, avec les instantanés à une œuvre construite et réfléchie.


Extrait d’eymogramme d'après Des Canyons aux étoiles d’Olivier Messiaen. Temps de réalisation du feuillet : 15 secondes.
 



et trois instantanés choisis dans le feuillet et agrandis
(cliquer sur l'image ci-dessous pour les visualiser l'un après l'autre) :





LYSEY & LES UST
ENTRETIEN



    MiM — Vous menez une recherche en lien avec les UST au sein du MIM, de quoi s’agit-il ?

    Lysey — Je suis une spectatrice étonnée de mon travail. La réalisation d’un eymogramme est quelque chose qui relève essentiellement de l’inconscient. Selon le tempo qu’il peut y avoir, jusqu’à des centaines de temps à la minute, mon crayon tente d’en suivre le rythme. Autant dire que je n’ai pas le temps de réfléchir… Alors, après coup j’examine mes dessins et je m’interroge sur leur production. La découverte au MIM, de l’outil des UST a été très enthousiasmante. En effet, avec mes eymogrammes j’ai l’impression de faire de la musique, de la réinterpréter ou si vous voulez, de la transcrire pour un nouvel instrument, le crayon, sanguine ou sépia. J’allais donc pouvoir analyser mes œuvres, mieux les comprendre en même temps que je comprendrais mieux la musique, n’étant pas moi-même musicienne. J’ai décidé d’approfondir la question par un thème de recherche au sein du MIM.  

    MiM — Quelle méthode de recherche avez-vous adoptée ?

    Lysey — C’est une démarche en quatre étapes : D’abord j’observe sur les dessins provenant de mes eymogrammes (hors écoute musicale) quels sont les groupes de graphèmes qui se ressemblent ou semblent organisés dans l’espace de manière similaire. Je pratique ces observations sur des eymogrammes d’origine musicale très diverses, Grieg, Messiaen, Beatriz Ferreyra, Cage, Ravel, Albeniz… J’isole et je photographie les groupes de graphèmes ainsi repérés. Comme la création de mes eymogrammes est systématiquement filmée, je dispose en même temps des graphèmes sélectionnés et de la musique correspondante. En écoutant de manière séquentielle les échantillons musicaux correspondant aux groupes de graphèmes semblables, je suis alors en mesure de répondre à deux questions complémentaires :
1. Les groupes de graphèmes similaires ont-ils été générés par des passages musicaux comportant des similitudes ?
2. Ces passages musicaux correspondent-ils à des UST semblables ?

    MiM — Êtes-vous parvenue à des premières conclusions ?

    Lysey — Ce serait très prétentieux. Ce travail est long et je n’en suis pas forcément la meilleure juge étant impliquée à la fois dans le geste et son analyse. Je pense toutefois être parvenue à déterminer des séries de graphèmes qui peuvent se rapporter à des UST particulières. Je suis assez exigeante : je ne me contente pas de dessins qui ont été réalisés à l’écoute d’un passage musical correspondant à telle ou telle UST, il faut, de plus, que le dessin obtenu puisse visuellement parler à l’imagination et "donner à voir" l’UST musicale. Ce que je peux dire d’ores et déjà c’est que les UST "délimitées dans le temps" (elles sont au nombre de 9) peuvent se retrouver dans mes graphèmes ou dans mes instantanés. Il s’agit de temps musicaux qui n’excèdent pas quelques secondes et qui correspondent donc à quelques traits de mes dessins. Les UST "non délimitées dans le temps" correspondent à un processus plus long et qui doit être perçu comme tel par l’auditeur. C’est alors plutôt la disposition de mes graphèmes sur le feuillet, le rythme général de mon écriture graphique examiné sur un temps assez long ou l’atmosphère, l’impression d’ensemble qui se dégage du feuillet qui peuvent se rapporter à ce type d'UST. J’ai plus de mal avec ces dernières
. Avec deux exceptions notables : l’UST Obsessionnel qui correspond avec évidence à mes feuillets réalisés par exemple à l’écoute de certaines œuvres de Terry Riley, et de Trajectoire inexorable qui est une UST correspondant bien à certains de mes états intérieurs et sur laquelle j’ai pu réaliser des dessins très significatifs et que j’aime beaucoup. 

    MiM — Cette notion de temps est importante ?

    Lysey — Elle est à la base de toute création artistique et c’est pourquoi les UST, dans leur forme actuelle ou sous une forme adaptée peuvent constituer un outil d’analyse (voire de création) assez universel. Dans La recherche du temps perdu, il y a "la petite phrase de Vinteuil", ce passage musical qui agit sur Swann comme la madeleine sur Proust, lui permet d’accéder à l’intemporel et, donc, contribue à faire de sa vie une œuvre d’art. La petite phrase de Vinteuil c’était une séquence musicale particulièrement efficace en tant que catalyseur émotionnel. Qu’ils l’admettent ou non tous les artistes aspirent à suspendre ainsi le temps. Figer, fixer, emprisonner un petit morceau d’éternité, c’est ce que je tente de faire avec mes instantanés : quelque chose de très simple, presque archaïque, qui puisse être accessible et parler à chacun.  


Obsessionnel
Deuxième feuillet (sur 21) de l’eymogramme d’après Play in C inspirée de In C de Terry Riley




Trajectoire inexorable
Dernier feuillet de l’eymogramme d’après Combat de la mort et de la vie, Les Corps Glorieux d’Olivier Messiaen



Jon Gillock, organiste américain, a écrit un commentaire sur ce deuxième dessin qui doit paraître dans son dernier livre Performing Messiaen’s Organ works, 66 Masterclasses : « The second part of Combat de la mort et de le vie, a dialogue between Father and Son, represents the resurrection, Eternity, in which the interpreter is directed to perform "extremely slowly, tenderly, Serenely (...)". In this last image, where the two answering solo lines merge into one two-note harmony, Lysey captures the sunny warmth of this Divine Love and images of father and son become one single reflection, with rays of light and love descending uncaesingly as the final chord of the piece is sustained into time whitout end. ». Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’Indiana University Press.


Qui avance

D’après le Boléro de Ravel





Elans
D’après Murmureln de Beatriz Ferreyra



Un extrait de cet eymogramme est visible ici


INSTANTANÉS
(cliquer sur l'image ci-dessous pour visualiser les 13 instantanés) :




INSTANTANÉS

& DARWINISME
MENTAL

 

    Comment naissent les formes des eymogrammes et instantanés de Lysey ?

    Ou comme elle le dit avec un petit hochement de tête dubitatif : « Comment ça sort de moi tout ça ? ». Il est vrai que le spectacle de Lysey au travail a quelque chose d’incroyable. Une multitude de signes, de personnages stylisés, de groupes de formes explosent sur le papier au rythme exact de la musique. C’est de la créativité à jet continu. Chaque signe est intéressant, la plupart sont gracieux ; certains exceptionnels de pureté : ce sont ceux-là que Lysey appelle ses instantanés. Pour mieux comprendre, nous avons pris le temps de refaire l’historique de la création de ses formes.

    Au tout début, dessiner était pour Lysey le seul moyen de se concentrer totalement sur l’écoute musicale, « d’entrer dedans » comme elle dit, et d’éliminer toute pensée ou parasite extérieur. Elle dessinait déjà au rythme de la musique mais son dessin était très systématique. Il s’agissait d’un minuscule personnage qu’elle commençait par la tête et prolongeait plus ou moins schématiquement par un corps et des membres selon que le morceau dessiné était à 2, 3 ou 4 temps. On pourrait appeler ce graphème (pour employer un terme habituel de Lysey) la « forme mère » ou « forme matrice ».

    Puis, assez rapidement mais de manière progressive, Lysey a libéré sa créativité : son répertoire de formes s’est élargi. Le personnage du départ s’est vu adjoindre un personnage parfois plus « féminin » par l’ajout d’un trait suggérant une longue chevelure ; les personnages ont occupé plus de place sur la feuille ; ils sont devenus groupes ; les formes sont devenues plus simples ou au contraire plus complexes ; elles sont parfois purement abstraites…

    Début 2008, Lysey se rapproche du MIM et découvre les UST. Elle constate alors, en participant à des séances d’analyse musicale à l’aide de cet outil que ses graphèmes n’apparaissent pas au hasard, que leurs récurrences sont celles de la musique, qu’il y a sans doute des correspondances répétitives entre ses formes, leurs arrangements et les UST contenues dans les morceaux dessinés. De manière certaine, des liens forts existent entre les émotions musicales ressenties et les formes exprimées par Lysey.

    Cette même année, Lysey commence à travailler sur la notion d’instantané.
En effet, elle a constaté qu’une forme nouvelle qui apparaît dans son travail est généralement d’abord assez grossière, puis s’affine et parfois devient vraiment belle, comme par un miracle de l’instant. Lysey a eu envie de se les approprier, une seconde fois, mais en toute conscience. Elle a eu aussi envie de leur donner une identité en les nommant. L’instantané est donc un choix : du dessin inconscient on passe au dessein de l’artiste.


    Fin 2008, à l’initiative de Jacques Mandelbrojt, le MIM se rapproche du professeur Jean-Pierre Changeux qui dirige le laboratoire de neurobiologie moléculaire de l’Institut Pasteur, afin d’organiser une manifestation commune dans le cadre de l’année Darwin. Après les UST, Lysey trouve dans le
« darwinisme mental » une deuxième clé pour la boite à mystères de sa créativité. Raison et plaisir, ouvrage dans lequel Jean-Pierre Changeux applique sa réflexion de biologiste au phénomène de la création artistique, semble avoir été écrit pour elle :

    « Le modèle Darwinien, sous sa forme la plus générale, se fonde sur un générateur interne de diversité (…) Il comporte également un mécanisme de sélection qui retient certaines combinaisons et élimine les autres. »8

    « L’artiste fait appel à des images et représentations "mnémoniques", à un vocabulaire de formes et de figures qui se sont stabilisées dans sa connectivité cérébrale au même titre que sa langue maternelle au cours d’un long processus d’épigenèse par sélection de synapses qui marque chaque individu d’une trace particulière. »9


    Au fil des innombrables eymogrammes qu’elle a dessinés, de ces centaines d’heures de travail à sa table à dessin, concentrée sur la musique et dont elle sort le plus souvent épuisée, Lysey a créé peu à peu sa bibliothèque idéale de formes. Chaque fois de nouvelles formes se présentent, variations des précédentes ou formes mutantes, certaines sont conservées, améliorées inconsciemment et peuvent espérer devenir un jour des instantanés, c’est ce que Jean- Pierre Changeux appelle des « mêmes »10 ; d’autres sont vite rejetées, éliminées car elles ne s’avèrent pas adaptées à l’expression correcte des émotions musicales de Lysey.

    Visuelle plus qu’abstraite, comme la plupart des artistes plasticiennes, Lysey est maintenant à la recherche d’un laboratoire d’imagerie cérébrale disposant d’un dispositif suffisamment ambulatoire pour pouvoir observer ce processus de génération/ élimination au travail sur son propre cerveau pendant la réalisation d’un eymogramme.


Série de
« formes matrices »

(cliquer sur l'image [puis visualiser 2 images]) :





Une des évolutions du répertoire de formes de Lysey :








Me voici
Croix vivante
Ange qui avance



EXEMPLE DE « MÊME » :
LE CROCHET ET LA BARQUE



    Ce « même » (images ci-dessous) représente une figure en deux parties avec à chaque fois des variations de formes dues aux différentes interprétations musicales dont elles sont issues, tout en gardant la même structure graphique. Sa forme la plus aboutie (image 7) est la première que Lysey a découverte dans un des feuillets de l’eymogramme d’après Sept Haïkaï d’Olivier Messiaen. On retrouve bien l’atmosphère japonisante dont s’est inspirée Messiaen et l’impulsion calligraphique donnée à ce signe à la forme épurée et harmonieuse. Elle l’a appelé « sérénité ».

(cliquer sur l'image pour visualiser les 7 figures) :





UST / INSTANTANÉS
UN VOYAGE DANS L’ESPACE ET LE TEMPS



DESSINER UN ESPACE MUSICAL


    N’ayant aucune formation musicale, j’ai eu beaucoup de mal, lors des premières séances d’analyse, à reconnaître une ou plusieurs UST dans une œuvre simplement en l’écoutant. Ma main avait besoin de dessiner chaque passage mélodique afin de mieux l’appréhender auditivement. Je me suis vite rendue compte que les personnages qui apparaissaient sur la feuille pouvaient suggérer des attitudes morphologiques correspondant aux UST. En effet, ils semblent évoluer sur le papier, dans une chorégraphie où les danseurs adapteraient au fur et à mesure leurs gestes au rythme et à la mélodie.

    Mes dessins peuvent paraître figés mais si je plonge à l’intérieur, si je parcellise, si je zoome sur des détails, je retrouve les idées, les sentiments, les émotions qui me permettent de saisir des nuances de temps, de hauteur, de rythmes et même d’espace, comme à la lecture d’une partition musicale. 


TRACER UN ITINÉRAIRE DE LA MUSIQUE


    Lorsque je dessine, le temps défile sur ma feuille et ma main, dans une vraie course poursuite, essaie de voyager avec la musique qui n’attend personne.
    L’eymogramme obtenu pourrait ainsi représenter l’itinéraire de la musique, les départs, les arrivées, les rencontres, les passages par tous les points remarquables que l’on peut trouver sur une carte topographique. Au milieu de tous ces tracés, flottent dans l’invisible des énergies qui grandissent, se dispersent, se transforment.


A LA RENCONTRE DES ÉMOTIONS


    Bien entendu, quand j’analyse avec l’équipe du MIM un morceau de musique en UST et que je le réécoute par la suite, je suis beaucoup plus attentive à l’articulation des temps musicaux et à la direction vers laquelle veut m’amener le compositeur. Mais, quand je repère un instantané dans mes dessins, je sais déjà, avant même d’avoir réécouté l’extrait musical correspondant que je me trouve à un moment-clé de l’œuvre où tout ce qui a précédé a travaillé ma sensibilité et généré un point d’acmé dans l’enchaînement que constitue l’eymogramme.

    Un instantané survient un peu comme la ponctuation émotionnelle de la musique ; il marque un passage de grande intensité, un changement radical, une amorce, une fin provisoire ou un final annoncé…  
    Bien souvent ce sont les temps de silence qui marquent eux-mêmes la cadence musicale, qui sont les plus fructueux en instantanés. J’aime cette phrase de Maurice Maeterlinck qui dit que : « Le silence est l’élément dans lequel se forment les grandes choses, pour qu’enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu’elles vont dominer. »11



Extrait du texte créé et lu par Lysey dans la vidéo
Ô temps suspends ton vol

qui s’accompagne d’un diaporama d’instantanés,
diffusée lors du concert du MIM
« Entrevoir entre temps », février 2009 :



TENTATIVES
DE CORRESPONDANCES
UST / GRAPHÈMES




    Cette page d’eymogramme a été réalisée sur les 29 premières secondes de l’écoute du morceau Sequenza III d’après Luciano Berio. Le tableau ci-dessous indique dans quel ordre a été réalisé ce dessin et tente une mise en correspondance entre l’interprétation graphique réalisée par Lysey du début de cette œuvre et l’analyse en UST effectuée au sein du laboratoire MIM (l’analyse complète est visible sur notre site, ici). On peut remarquer une bonne adéquation entre les formes graphiques obtenues et la définition des UST. Par exemple, pour l’UST Trajectoire inexorable, le trait du graphème « donne l’impression de pouvoir se prolonger indéfiniment. »12. La description sémantique de l’UST Élan est : « Projection à partir d’un appui. »13 : c’est exactement la forme du graphème obtenu à l’écoute de la musique.



Segment

Localisation temporelle

Durée

Nom de l'UST

Graphème correspondant





1





0 à 11 sec.





11 sec.





Trajectoire inexorable (silence final compris)







2





11 – 14 sec.





3 sec.





Suspension-interrogation







3





14 – 18 sec.





4 sec.





Élan




4


18 – 29 sec.


11 sec.


Contracté-étendu + accent final





1 Notion reprise par Jean-Pierre Changeux dans son live Raison et plaisir, d'après celle inventée par Richard Dawkins (voir aussi la note 10 ci-dessous).

2 En particulier le laboratoire Cognitions Humaine et ARTificielle (CHART) dirigé par Charles Tijus.

3 Analyse du motet Nuper rosarum flores de Guillaume Dufay (1436), composé à l’occasion de la bénédiction du Dôme de Florence.

4 Michel Philippot fut aussi, avant son décès, président du MIM.

5 Voir notamment le Cahier du MIM n°1 Créer avec les Unités Sémiotiques Temporelles ?

6 Voir les contributions de Jacques Mandelbrojt, Magali Latil, Julie Rousset, Catherine Arnaud et Ludivine Allegue dans l'ouvrage Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, Éditions Delatour/IRCAM, 2008.

7 2009 : 200ème anniversaire de la naissance de Charles Darwin et 150ème anniversaire de la publication de son ouvrage majeur L'Origine des espèces.

8 Jean-Pierre Changeux, Raison et plaisir, Éditions Odile Jacob, Paris, 1994, p. 47.

9 Ibid., p 51.

10 Variation de la notion de meme (sans accent en anglais, mot formé de mimesis et gene) élaborée par Richard Dawkins (cf. son livre The Selfish Gene, Oxford University Press, 1976).

11 Maurice Maeterlinck, Le trésor des humbles, Mercure de France, Paris, 1904, p. 7.

12 Voir Cahier du MIM n°1, p. 21.

13 Ibid., p. 20.

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