Laboratoire Musique et Informatique de Marseille                                                                                                                        

LES CAHIERS DU MIM

N° 1

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LES CAHIERS DU MIM


Les Cahiers du MIM sont destinés à faire connaître l'état de notre recherche sur tel ou tel point de nos travaux. Comme dans tout domaine de recherche, cet état ne peut être qu'une vérité sujette à être remise en cause. Aussi espérons-nous de nos lecteurs d'éventuels retours afin que les problèmes abordés puissent progresser vers de plus satisfaisantes réponses.
Le site du MIM contient une page à cet effet


Ce PREMIER CAHIER a, bien évidemment, pour propos, les Unités Sémiotiques Temporelles. Comme expliqué plus loin, et à la suite de multiples échanges autour des UST, il nous a paru intéressant d'aborder ici le problème de la création avec un outil qui ne se voulait au départ que d'analyse. Dans le même temps, la diffusion de nos travaux et les réactions des personnes qui s'y intéressent nous ont amenés à une rédaction plus contractée mais aussi plus claire et, espérons-nous, plus rigoureuse des fiches descriptives de ces UST (elles sont présentées en annexe). Nous allons voir que les deux démarches se rejoignent : pour dégager des caractéristiques fonctionnelles ou expressives des UST, plusieurs membres de l'équipe du MIM, voire des chercheurs extérieurs ont ressenti le besoin d'opérer des regroupements. C'est en faisant la synthèse de ces regroupements que nous pourrions commencer à entrevoir des pistes pour une « grammaire » des UST, premier pas vers la composition au moyen des UST. Telle a été en tous cas notre hypothèse. Mais force a été de constater que ces regroupements allaient dans le même sens que notre volonté de définir plus clairement les UST et en mettant en valeur la généralité du modèle que chacune d'elle contient. Au final – c'est-à-dire en l'état actuel de nos travaux – nous croyons être parvenus à quelque peu « éclaircir la situation » : plusieurs angles de vue qui nous font « toucher du doigt » la richesse et la fécondité des UST dans leurs ressemblances/différences, quelques avancées dans leur possible mise en œuvre compositionnelle, le tout s'appuyant sur un appareil théorique plus abordable et plus facilement exploitable.


CRÉER AVEC LES UST

Depuis la parution du livre-CD Les Unités Sémiotiques Temporelles. Éléments nouveaux d'analyse musicale puis du cédérom Les Unités Sémiotiques Temporelles. Nouvelles clés pour l'écoute, la pratique d'analyses par les membres du MIM, les études de validations et les tests d'écoute menés par le laboratoire du CNRS « Cognition et Usages » dirigé par Charles Tijus (Université Paris 8) ainsi que la mise au point d'un outil formel de description des UST : les « Motifs Temporels Paramétrés » (MTP) par Philippe Bootz au laboratoire « Paragraphe » (Université Paris 8) et Xavier Hautbois à l'Institut d'Esthétique des Arts et Technologies (IDEAT, Université Paris 1), le concept et la mise en pratique des UST ont évolué en élargissement vers d'autres disciplines artistiques que la musique ainsi que dans leur conception-même. Les actes du colloque que nous avons organisé en 2005 autour des UST1 en donnent une bonne idée.

Je m'attache ici plus particulièrement aux pratiques musicales. Les propositions suivantes tentent de répondre au vécu de deux situations.

L'une : la difficulté qui se présente parfois, lors d'une séance d'analyse, de donner une étiquette2 d' UST à certains fragments d'une œuvre. Une telle situation est en contradiction avec un des buts initiaux des UST : faciliter l'analyse d'œuvres dont l'auditeur ne maîtrise pas la technicité. Serait-ce donc que les figures sonores sélectionnées et/ou leurs étiquettes, ne seraient pas toutes pertinentes ?

L'autre situation a été de ressentir, lors d'une réunion de professeurs de musique électroacoustique, que leurs préoccupations étaient de deux ordres : d'une part, le choix des logiciels à enseigner, d'autre part une interrogation quant au but-même de leur enseignement : former des techniciens du son mais au service de qui ou de quoi, ou bien former des créateurs ?

Les UST ne pourraient-elles pas leur être d'une certaine utilité ? Mais quelle utilité, voire quelles utilités, et comment ?

Il faut rappeler que les Unités Sémiotiques Temporelles proposées depuis quelques années par le MIM ne sont pas un système mais, à l'origine, une aide à l'analyse d'œuvres musicales. Or voici que ce moyen d'analyse est détourné par certains compositeurs (on pourrait ajouter : détourner est de quasi nature chez un créateur) comme moyen de création.

Surgit alors la question de la nature de l'utilité des UST. De plus : sont-elles toutes pertinentes pour répondre à cette utilité. Et donc : sont-elles trop ou pas assez nombreuses ?

Avant de tenter de répondre à ces questions, il semble nécessaire de prendre position sur une interrogation fondamentale qui refait régulièrement surface : toute création nécessite-t-elle des règles ? Au MIM, le plasticien Jacques Mandelbrojt, nous objecte : « Pourquoi, vous autres compositeurs, avez-vous toujours besoin de règles pour composer ? » Je lui propose plusieurs réponses dont la présente succession n'est pas ordonnée.

A toute époque on a opposé aux novateurs un : « Vous faites n'importe quoi » qui, bon gré mal gré, est troublant parce que, précisément, ils ne font pas n' importe quoi : ils transgressent. S'il n'y a pas de règles (fussent-elles les nôtres) il n'est pas de transgression possible. Or c'est dans la transgression qu'est le piment de l'œuvre.

Soit, acceptons que Jacques n'ait pas de règles lorsqu'il peint. Mais alors, pourquoi ne trouve-t-on jamais de couleur verte dans ses tableaux ? C'est un choix. Mais ce choix n'est-il pas une règle, en creux ? Et l'abstraction lyrique, n'est-elle pas un choix/règle du refus du réalisme ? Et l'absence de figures rectangulaires ? Et le jeu préférentiel de trajectoires ? Alors qu'Élisabeth3, l'autre plasticienne du MIM, ne crée souvent qu'à partir d'accumulations, à la manière des « nuages » électroacoustiques ?

Si nous passons en revue les musiques que nous pouvons connaître des temps « historiques », nous découvrons qu'elles présentent toutes des règles/techniques rédactionnelles ; règles les plus diverses. Or, au delà de cette apparente diversité, apparaît un même principe, comme une « cause première », une « méta-règle ». Méta dans les deux sens du mot. Méta latin, à savoir chacune des bornes du cirque autour desquelles les coureurs devaient tourner. Et le méta, grec, de la métaphysique aristotélicienne : après l'étude de la physique, l'étude des causes premières.

C'est ainsi que les œuvres musicales semblent se dérouler d'une façon similaire, à partir d' un événement sonore (son, figure sonore, motif, etc.) premier, générateur, et passant par un ou plusieurs repères diversement nommés (points d'attraction, tonique, dominante, série, structure...). Et ceci quelle que soit l'échelle des sons utilisés, et quelle que soit leur position au sein de cette échelle.

Nous ne sommes plus au temps ni dans le monde d'Aristote, opposent certains. Certes, et Robert Bogdali, au milieu du vingtième siècle déjà, avait mis au point une technique rédactionnelle « sans tension », sous le terme de « musique non attractive ». Or, bien qu'ayant fait fi de toutes règles alors connues pour diriger l'évolution du jeu sonore, ce dernier se voyait tout de même contraint à des « modulations densitaires »4.

Il semblerait bien qu'un flux sonore composé ait besoin de ponctuations, de quelque nature et de quelques dénominations soient-elles.

Si l'on décide de « ne pas faire n' importe quoi », se pose la question du « comment naviguer avec les UST ? ». Le MIM a proposé une réduction de leur nombre. On peut en trouver l'argumentation sur notre site internet . Mais, que nous admettions 16 ou 19 UST ne modifie pas le problème.

Or, l'étude des principes des techniques rédactionnelles nous montre que leur structure globale a toujours été simple, malgré leur foisonnante apparence. Trois exemples :

Le système modal dit grégorien s'appuie sur trois points : une tonique, une dominante et une corde de récitation.

Le système tonal s'appuie également sur trois points : une tonique avec une extension (troisième degré), une dominante avec une extension (septième degré) et une sous-dominante avec comme extension les deuxième et sixième degrés ; à ceci près que ces degrés peuvent être rattachés, l'un tantôt au cinquième et l'autre tantôt au premier.

Le système dodécaphonique s'appuie sur un point : la série (avec ses trois extensions : rétrograde, miroir, rétrogradation du miroir).

Est-il possible donc d'imaginer un système (ce qu'elles n'ont jamais été) d' USTs pour la composition ? Avant de répondre à cette question, il est tout d'abord nécessaire de les regrouper en catégories, fonctionnelles ou d'expression. Puis, en cas de réponse positive, pourrait-on proposer alors une grammaire, syntaxe comprise ?


Tableaux de regroupement


Différents regroupements ont été proposés, au MIM, sous-tendus, chacun, par le concept auquel se réfère la proposition. Ils prennent en compte les 19 UST « historiques. En voici les différents tableaux (la numérotation en regard de chaque type de regroupement a pour but d'être utilisée dans le dernier tableau (Tableau 5).


Le premier regroupement [Tableau 1] a été établi par Jacques Mandelbrojt5d'après la classification des images poétiques qu'a réalisée Gaston Bachelard selon les quatre éléments (eau, air, terre, feu)6.


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[Cliquer sur l'image pour l'agrandir]

Tableau 1 : J. Mandelbrojt : regroupements selon les 4 éléments (d'après G. Bachelard)


Le Tableau 2 présente les regroupements réalisés par Xavier Hautbois7selon les catégories :

Invariants : par répétition - par stagnation - par effet chaotique
et
Variants : à évolution uniforme - à évolution contrariée - à équilibre rompu)


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Tableau 2 : Xavier Hautbois : regroupements selon le critère « Invariants/Variants »


Troisième type de regroupement : en fonction de l'énergie, notion qu'ont explicitée Sébastien Poitrenaud8 et Marcel Frémiot lors du colloque « Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST), nouvel outil d'analyse musicale : théories et applications » en 2005, distinguant trois types d'énergie9 :

    - énergie cinétique (constante - croissante – décroissante)
    - énergie potentielle (constante - croissante – diffuse)
    - énergie à conversion (brusque - progressive)


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Tableau 3 : S. Poitrenaud et M. Frémiot : regroupements selon l'énergie


Le quatrième et dernier tableau a été conçu par Marcel Formosa sur la base de ce qu'il appelle des « modes temporels » :

  • inexorable

  • tendu
  • immobile sans tension
  • va-et-vient (balancement)
  • projeté vers
  • marche contrariée
  • illisible
  • mécanique, rigide


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Tableau 4 : M. Formosa : regroupements selon des « modes temporels »


Ce dernier tableau réintroduit comme un esprit de complexité qui marque la différence qu'il y a entre la théorie (théorisation ?) forcément schématique de l'UST et sa mise en pratique, forcément, « vitalement », approximative. Ainsi en est-il de la durée chronométrique de certaines UST. Exemple : du point de vue sémiotique les catégories « délimitée dans le temps » et « non délimitée » suffisent. Il n'empêche que Marcel Formosa, dans son tableau, pour l'UST Trajectoire inexorable hésite, quant à son « mode temporel » : est-il inexorable ou prévisible ? De fait, si la durée chronométrique est « relativement » courte, on peut éventuellement estimer que le mode temporel est « prévisiblement inexorable ». C'est ce qui se passe pour les passages dits Trajectoire inexorable de l'œuvre de Debussy10 analysée sur le cédérom Les Unités Sémiotiques Temporelles. Nouvelles clés pour l'écoute. Si, par contre, la durée chronométrique a une « certaine » durée, le mode se révèle avec évidence comme inexorable. De semblables questions surgissent pour les UST Qui veut démarrer, Qui tourne et Par vagues : quand, et pour lesquelles s'agit-il de « balancement » ou de « va-et-vient » ?

Le tableau de Marcel Formosa présente un autre avantage : alors que les autres tableaux s'appuient sur des critères se référant à une réalité matérielle, celui-ci introduit une « touche psychologique », avec des termes comme « projeté vers », « illisible », « rigide ». Nous sommes alors aux marges de la syntaxe pour atteindre l'expressif. Voilà qui peut rendre service à qui ne se préoccupe pas que d'architecture.


UST et biosémiotique


D'autres pistes ont été suivies allant dans le sens d'un regroupement des UST. C'est le cas des travaux menés par Martine Timsit-Berthier qui ont tenté de mettre en correspondance les UST avec des modèles temporels « naturels » qui semblent émerger des expériences kinesthésiques. Ces travaux ont fait l'objet de publications, une première fois en 2007, dans la revue Mathématiques et sciences humaines11, puis dans l'ouvrage Vers un sémiotique générale du temps dans les arts, actes du colloque « Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST), nouvel outil d'analyse musicale : théorie et applications » (M. Timsit-Berthier : Approche biosémiotique des Unités Sémiotiques Temporelles, pp. 193-203).

Ces travaux ne remettent pas en cause les conclusions ci-dessous présentées, issues des tableaux précédents.


Mise en regard des tableaux


Reste à mettre ces tableaux en regard les uns des autres pour tenter de tirer des conclusions.

Pour nous y retrouver, voici, pour mémoire, la numérotation des différentes propositions de regroupement :

de 1 à 4 pour Jacques Mandelbrojt

de 5 à 10 pour Xavier Hautbois

de 11 à 18 pour Sébastien Poitrenaud et Marcel Frémiot

de 19 à 26 pour Marcel Formosa

L'ordre de présentation des UST a été choisi pour mieux faire apparaître les parties communes des divers regroupements.


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Tableau 5 : Comparaison des regroupements


Premières conclusions


L'examen de ce cinquième tableau permet d'avancer quelques remarques.

Tout d' abord sur le nombre de propriétés communes à certaines UST.

Deux UST, Qui tourne et Par vagues ont en commun l'ensemble de leurs caractéristiques (1-5-14-22). Cette similitude, sans être aberrante, pose problème. Serait-ce dû à une définition insuffisante ? Faut-il intégrer une variable supplémentaire dans nos définitions ? Ou faut-il concevoir une seule UST comportant plusieurs modalités morphologiques ? :

  • à réitération soit uniforme (cf. Qui tourne), soit irrégulière (cf. Par vagues)

  • soit se bouclant sur elle-même (cf. Qui tourne)

  • soit étalée sur l'axe du temps (cf. Par vagues)

A l'opposé, Obsessionnel et Chute n'ont aucune caractéristique commune. Il y aurait donc éloignement maximum entre ces deux UST.

De même Obsessionnel n'a aucune caractéristique commune avec Sur l'erre. Mais Chute et Sur l'erre ont deux caractéristiques communes (1 et 19). L'éloignement serait-il identique entre Obsessionnel d'une part, et Sur l'erre ou Chute d'autre part ?

Au vu de ce tableau, certaines UST n'ont qu'une seule caractéristique commune : par exemple, Trajectoire inexorable et Obsessionnel (3).

Pourtant, concernant ces deux dernières UST, il pourrait manquer une de leurs qualités qui leur confèrent le plus « d'impact »12 : leur inexorabilité (19).

Certaines UST ont trois caractéristiques communes sur quatre : En flottement et Stationnaire. Faut-il voir là un argument supplémentaire pour conforter la proposition déjà faite de fondre ces deux UST en une seule (Stationnaire) ?

En flottement et En suspension n'ont qu'une caractéristique différente ; encore est-ce au sein d'un même type d'énergie (constante pour En flottement et diffuse pour En suspension). Faut- il adjoindre En suspension aux deux précédentes UST ?

A l'écoute, Qui veut démarrer n'a pas grand-chose à voir avec Qui tourne ni avec Par vagues pourtant mises dans la même catégorie de « Va-et-vient ». Peut-être la catégorie est-elle mal choisie pour Qui veut démarrer ?

Les propositions issues de ce tableau rejoignent le travail déjà amorcé de redéfinition des UST amenant éventuellement à un corpus plus restreint.

C'est ce travail de redéfinition qui apparaît, en son état actuel, dans les fiches de description présentées en annexe.

Quoi qu'il en soit, le tableau 5 permet maintenant d'apporter plus aisément des réponses à certains questionnements antérieurement abordés :

  • certaines définitions d' UST

  • le plus ou moins grand éloignement des UST entre elles

  • les processus de passage de l'une à l'autre

  • la possible adaptation, restée en suspens à ce propos, de la théorie des catastrophes

  • le processus de transformation de l'une à l'autre des UST

  • le fait que les caractéristiques retenues relèvent de domaines différents (disparates ?) : physiques, philosophiques, poétiques, ce qui, dans un premier temps, nous avait paru être une richesse

  • la dénomination des étiquettes

  • ...


Tous les tableaux peuvent susciter d'autres remarques, y compris la mise en cause éventuelle d'idées ou de faits jusqu'à maintenant communément admis. Le MIM fait appel aux réactions des lecteurs. Le site leur réserve un espace d'expression (rubrique « Forum »).

Tous ces acquis permettent d' envisager plus aisément, plus rationnellement, une possible utilisation discursive ou structurelle d'une œuvre.


Quel outil de création


Pour en revenir à la question de l'utilisation des UST comme outil de création (et non plus d' analyse), j'ébauche ici quelques pistes pour la théorie d'une grammaire avec syntaxe. Il ne s'agit surtout pas de créer un système « académique ». D'ailleurs, hors le dodécaphonisme (et l'on sait qu'il a suffi d'une génération à peine élargie pour qu'il vole en éclats), tout système, toute théorie ne fait que fixer des usages. Dès lors il suffit que le compositeur sache, décide, dans quelle situation il inscrit son œuvre. Et, quoi qu'il en soit, il faut bien commencer, puis être, vivre, raconter, construire, que sais-je et, enfin, en fin, clore, arrêter.

Commencer
Je vois deux attitudes possibles :
ou bien on se pose en créateur : il n'existe rien avant moi et c'est moi qui initie le monde à venir. Avec affirmation : c'est alors l'UST Contracté-étendu qui peut très bien faire l'affaire. Mais aussi bien Chute que Elan. Si, au lieu d'une vive affirmation, je préfère une précaution oratoire, c'est peut être l'UST Qui veut démarrer que je choisirai, ou bien, avec moins de gloriole, ou plus de sournoiserie, je préfère m'inscrire, m'intégrer à l'intérieur d'un processus en cours : j'entrerai alors dans une UST comme Trajectoire inexorable ou dans une autre unité non délimitée dans le temps comme Par vagues. Et c'est ensuite que je m'imposerai.

Etre
Ici encore, deux solutions s'offrent à moi : installer un « état » ou créer une évolution.

Si je me situe dans un état, celui-ci peut être soit calme et les UST telles Stationnaire, Obsessionnel lent ou que sais-je conviennent, soit agité : alors, Obsessionnel rapide ou Par vagues rapide (... ou d'autres) peuvent convenir.

Si je me situe ou crée une évolution - discours, parcours, drame, ruptures... - ici tout est bon. A ceci près qu'il faut résoudre le problème technique des enchaînements. Face à ce problème, la responsabilité des choix est la plus importante, voire la plus dangereuse. C'est, entre autres, qu'un enchaînement peut être intellectuellement satisfaisant mais ne pas, dans la pratique, donner le résultat escompté. Ici interfèrent des facteurs comme le tempo, la durée, la matière, l'ambitus, le registre ; facteurs qui n'apparaissent souvent qu'au second plan dans la définition des UST, en tant que - ou se voulant – universaux. Par exemple, selon son degré de prégnance, une continuité théorique peut devenir rupture et vice versa. C'est là qu'entrent en jeu l'imagination et l'habileté de chacun.


Terminer
L'UST Sur l'erre, par la disparition progressive de sa matière, prédispose à cette fonction. L'UST Freinage également, qui mène à l'arrêt de la matière. D'ailleurs ces deux UST sont dans une même classification de « variants contrariés » (voir le tableau 2)
. Mais toute UST peut servir à exprimer une fin : tout est selon la sensibilité, ou le caractère que le compositeur veut donner à sa fin. Cette liberté, ou cette incertitude, correspond bien à l'esprit de notre société pour qui rarement un processus, fût-il artistique, scientifique ou philosophique est définitivement abouti.

Et c'est ainsi que la suite de ces propositions est laissée au bon vouloir du lecteur.

Marcel Frémiot


BIBLIOGRAPHIE

- Les Unités Sémiotiques Temporelles. Eléments nouveaux d'analyse musicale. (livre + CD audio) Edition MIM, documents Musurgia, diffusion ESKA, 1996

- Les Unités Sémiotiques Temporelles. Nouvelles clés pour l'écoute. (cédérom) Edition MIM, 2002

- Vers une sémiotique générale du temps dans les Arts. Actes du Colloque « Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST), nouvel outil d'analyse musicale : théories et applications », Marseille 7-9 décembre 2005. (livre + cédérom) Editions Delatour/IRCAM, collection Musique/Sciences, 2008



ANNEXES



LES UST : NOUVELLES FICHES DESCRIPTIVES

(dernière version au 10-11-2008)



I. UST NON-DÉLIMITÉES DANS LE TEMPS


Propriétés générales

Le phénomène sonore doit avoir une durée telle qu'il puisse être perçu comme un processus et non comme un moment éphémère.
Toutes les UST non-délimitées dans le temps ont une seule phase.


1. Trajectoire inexorable

Description sémantique

Trajectoire qui donne l'impression de pouvoir se prolonger indéfiniment.

Description morphologique

Unité dans laquelle on entend une trajectoire réalisée par une ou plusieurs variables et donnant l’impression d’une énergie constamment renouvelée.


2. Obsessionnel

Description sémantique

Répétition insistante sur laquelle il semble qu'on ne puisse intervenir, chaque répétition renouvelant l’énergie.

Description morphologique

UST constituée d'une cellule réitérée dans un temps pulsé.


3. Qui avance

Description sémantique

Qui semble vous porter en avant d'une façon régulière.

Description morphologique

UST à énergie constamment renouvelée et avec direction. Elle est constituée d’une cellule réitérée sans interruption ; cette cellule comporte un accent.


4. Sans direction par divergence d'information

Description sémantique

Directions contrariées successives, donnant une impression d’immobilité globale.

Description morphologique

UST constituée de moments successifs assez brefs proposant des systèmes d’organisation différents. Les directions divergentes sont successives et non superposées. Du fait de ces divergences, l’énergie reste globalement potentielle.


5. Lourdeur

Description sémantique

Donne l'impression d'une difficulté à avancer.

Description morphologique

Cellule répétée de façon non strictement identique et avec une irrégularité maîtrisée. Il y a un accent en crescendo au début de chaque reprise de la cellule ; chaque accent renouvelle l’énergie cinétique de translation. Le déroulement temporel est assez lent.


6. Qui tourne

Description sémantique

Donne l’impression d’un objet animé d’un mouvement de rotation sur lui-même et/ou dans l’espace.

Description morphologique

UST à cellule réitérée de façon continue, constituée d’un motif sonore en delta : qui accélère puis ralentit et crescendo-decrescendo, et avec un accent au maximum du crescendo. Ce motif sonore semble irrégulier : le 1er élément (accéléré-crescendo) paraît plus court que le second.


7. Qui veut démarrer

Description sémantique

Comme quelque chose qui tente de se mettre en route.

Description morphologique

Amorce réitérée mais non aboutie d’un processus.


8. Par vagues

Description sémantique

A chaque cycle, impression d’être propulsé en avant, puis de se laisser porter jusqu’à la fin. L’ensemble donne une impression de surplace.

Description morphologique

Répétition d’un motif sonore en delta dans lequel l’énergie est croissante puis décroissante.

La forme en delta peut s’appliquer à différents critères morphologiques. Déroulement temporel assez lent.


9. Stationnaire

Description sémantique

Dégage un sentiment d' a-mobilité

Description morphologique

Dans un déroulement temporel assez lent et une énergie potentielle globalement stable,

différentes configurations sont possibles :
a. éléments sonores relativement courts, épars, généralement divers, sans former de structure
b. trame peu évolutive
c. superposition de a. et de b.
d. cellule en répétition plus ou moins variée
e. densité importante d'éléments multiples, contradictoires et se chevauchant


II. UST DÉLIMITÉES DANS LE TEMPS


Propriétés générales

Une UST délimitée dans le temps correspond à une configuration sonore dont le début et la fin sont précisément marqués dans le temps.

Sa durée ne doit pas excéder quelques secondes de façon à être intégrée perceptivement comme une forme.

Toutes – à l’exception d’une seule : “ Contracté-étendu ” – les UST délimitées dans le temps ont une continuité de matière entre leurs différentes phases (lorsqu’elles en comportent plusieurs).


1. Chute

Description sémantique

Energie potentielle qui se rompt et se convertit en énergie cinétique de translation.

Description morphologique

UST à deux phases successives :
1ère phase : globalement uniforme
2ème phase : comporte un mouvement d’accélération
Le passage de la 1ère à la 2ème phase se fait par un "point anguleux" : événement très bref marquant le changement de phase (césure, accent,...).


2. Contracté-étendu

Description sémantique

Compression rompue suivie d’un état étale

Description morphologique

UST à deux phases successives :
1ère phase : accélération qui va dans le sens d’un accroissement (intensité, masse, événements de plus en plus rapprochés, ...)
2ème phase : globalement uniforme, à énergie maintenue
Il y a une discontinuité brutale entre les deux phases (du même type que le “ point anguleux ” défini pour l’UST “ Chute ”).


3. Elan

Description sémantique

Projection à partir d’un appui

Description morphologique

UST pouvant comporter jusqu’à trois phases successives (les phases 1 et 3 peuvent être absentes) :
1ère phase : son bref ou tenue globalement uniforme
2ème phase : accroissement d’intensité bref et exponentiel
3ème phase : décroissance d’intensité ou silence


4. Etirement

Description sémantique

Sensation d’aller vers le maximum d’un processus d’effort.

Description morphologique

UST à phase unique. Matière globalement uniforme, dans un déroulement temporel assez lent, présentant l’accroissement d’au moins une variable morphologique. L’énergie est en accroissement. Le mouvement est du type surplace par déformation.


5. Freinage

Description sémantique

Sensation d’un processus subitement contrarié jusqu’à son arrêt.

Description morphologique

UST à deux phases successives :
1ère phase : globalement uniforme
2ème phase : apparition d’une énergie plus importante puis qui décroît rapidement


6. Suspension-interrogation

Description sémantique

Mouvement qui s’interrompt dans une position figée.

Description morphologique

UST à deux phases successives :
1ère phase : processus quelconque
2ème phase : tenue brève


7. Sur l’erre

Description sémantique et morphologique

Extinction progressive d’un processus jusqu’à sa fin.

Description morphologique (complément) :

UST à phase unique qui comporte une décroissance d’intensité jusqu’à extinction.



GLOSSAIRE

(dernière version au 24-03-2009)


Vocabulaire général


Définitions empruntées au (ou d’après le) Petit Robert sauf mention spéciale.

La flèche [>] renvoie à des synonymes et analogues.


Cellule : mot désignant une figure sonore considérée pour la structure temporelle qu'elle représente.

Densité : nombre d’éléments par unité de temps.

Élément : « partie constitutive d'une chose, d'un ensemble » ; > composant, morceau, partie (dans le sens d'« élément constitutif »).

Evolution : « suite de transformations dans un même sens » : > changement, transformation, devenir, mouvement, développement, marche, progression (voir à ce mot). L'évolution peut être « lente, rapide, continue, discontinue, progressive, régressive ».

Motif (sonore) : cellule considérée dans sa réalisation en tant que phénomène sonore.

Processus : ensemble de phénomènes, conçu comme actif et organisé dans le temps.

Progression : évolution par degrés, régulier et continu (> régression) ».

Pulsé = avec pulsation : avec accent revenant de manière cyclique (d’après Wikipédia)

Structure : « disposition des parties d'un ensemble » ; > forme

Trajectoire : « ligne décrite par un projectile » ; > trajet : « le fait de parcourir un certain espace, pour aller d'un lieu à un autre ; le chemin ainsi parcouru ».

Uniforme (globalement) : qui comporte peu de changement (de matière*, de masse*) et un profil dynamique* globalement « plat » (c’est-à-dire sans crescendo ni decrescendo).
* termes empruntés au Traité des Objets Musicaux de Pierre Schaeffer.


1. Termes généraux pour les UST


U.S.T. : classe d’équivalence des fragments musicaux qui présentent, même hors contexte, la même signification temporelle due à des organisations morphologiques analogues.
Par commodité de langage et dans la suite de ce glossaire, on désignera par “UST” ces fragments eux-mêmes.

Sémantique/Sémiotique : les UST sont dites sémiotiques car elles renvoient à une signification précise produite par un signe, ici la figure sonore que réalise le fragment correspondant à une UST. Il ne s’agit pas de l’évocation d'un sens général déjà codifié tel que la tristesse, la joie, la colère, etc. : dans cette dernière hypothèse, nous serions alors en présence d'unités sémantiques.


2. Caractères structurels


Délimitée dans le temps/Non délimitée dans le temps :

Les UST délimitées dans le temps correspondent à une configuration sonore dont le début et la fin sont précisément marqués dans le temps.

Les UST non délimitées dans le temps correspondent à une configuration sonore perçue comme un état qui pourrait se perpétuer ; une certaine durée suffit pour que la signification temporelle apparaisse.

Direction : évolution dans le même sens d’une variable, ou d’un ensemble cohérent de variables.

Moment : terme général désignant une « portion » d’UST possédant un début et une fin nettement identifiés

Phase : moment d’une UST caractérisé par sa morphologie.

Réitération : répétition d’une figure sonore. Cette répétition peut ne pas être une répétition à l’identique et être indépendante de points d’appui temporels réguliers.


3. Caractères morphologiques


Déroulement temporel : notion assimilable à la notion classique de tempo (se référer aux indications du type allegro, andante, adagio, etc. plutôt qu’à des valeurs précises [du type « 60 à la noire »]). Cette propriété se décline ici généralement en trois valeurs : « lent », « moyen », « rapide », « moyen » correspondant à l’andante classique.

Énergie : effet produit par 3 variables : masse, profil d'intensité et vitesse* (*vitesse = densité d'événements par unité de temps). D’autres critères morphologiques étroitement liés à la masse - le grain, l’allure, le timbre harmonique, ... - y jouent évidemment un rôle.

- énergie cinétique : en action. Variation dominante d'une ou plusieurs des 3 variables. Il y a deux types d’énergie cinétique :

  • celle où la variation induit une impression de déplacement ou, plus explicitement, de translation (cas d’une trajectoire, par exemple)

  • celle où la variation ne produit qu’un mouvement interne à la matière sonore (cas d’une rotation sur soi comme dans Qui tourne, par exemple). Nous parlons alors de motilité.

- énergie potentielle : en attente ou en puissance. Masse, profil d'intensité et vitesse peu variés et/ou peu marqués, donnant l’impression d’une énergie globalement stable, sans évolution. Ceci par un possible mécanisme de compensation d’une variable par une autre.

Autres qualifications pour l’énergie (concernant notamment les UST à plusieurs phases) :

- énergie maintenue
- énergie
convertie
- énergie
en accroissement
- énergie
en déperdition

Mouvement : qualification décrivant l'évolution d'une ou plusieurs variables morphologiques. Il y a deux types de mouvement :

- la translation : une ou plusieurs variables évoluent dans la même direction (sans revenir à leur point de départ)
et, par opposition :
- le surplace
: donnant une impression de stationnarité avec mobilité interne, il se décline lui-même sous deux formes : surplace par déformation, surplace par rotation
Exemples : l’UST « Qui avance » suggère une
translation, « Étirement » donne l’impression d’un surplace avec déformation, « Qui tourne » d’un surplace avec rotation


4. Indications d’ordre sémantique


Elles évoquent une réalité qui est à la fois musicale et extra-musicale et sont induites par le déroulement temporel de l’UST.

Un « premier niveau » est constitué par les noms (les étiquettes) des UST.

Indications sémantiques de « second niveau » :

Aléatoire

Appui

Attente

Basculement

Compression

Continuité

Directions contrariées

Dissipation

Équilibre (de forces)

Hésitation

Immobilité (sans mouvement)

Immuabilité (d’un processus)

Insistance

Interruption de mouvement

Irrégularité

Maximum (aller vers le)

Maximum (atteindre le)

Mécanique (caractère)

Prévisibilité

Projection

Pseudo-régularité

Qui pousse (porte) en avant

Relâchement subit

Retenue (pouvant être subite)

Rupture (point de)

Rupture d’équilibre

Se laisser porter

Suspens

Surplace (immobilité avec mouvement interne)

Tension

1 Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, édition Delatour/IRCAM, 2008.

2 Le terme « étiquette » est employé ici, et dans la suite du texte, pour désigner l'intitulé, le nom de l'UST (par exemple, Chute est une étiquette d'UST).

3 Élisabeth Hemour (Lysey), graphiste interprète.

4 Voir in revue Polyphonie, 9ème et 10ème cahier : Inventaire des techniques rédactionnelles pp. 113-128 (Richard-Masse, Paris, 1954)

5 Les personnes citées dans ce Cahier ayant travaillé sur les regroupements d'UST sont soit membres du MIM, soit des collaborateurs réguliers de notre laboratoire. Dans ce dernier cas, nous indiquerons leurs titres dans la suite du texte.

6 Dans son ouvrage L' art et les songes. Voir l'argumentation détaillée de J. Mandelbrojt dans Vers une sémiotique générale du temps dans les arts (Delatour/IRCAM, 2008), pp. 205-206 (« Regroupement des UST suivant les "quatre éléments" de G Bachelard »).

7 Chercheur à l'Institut d'Esthétique des Arts et Technologies (IDEAT, Université Paris1/CNRS-UMR 8153). Voir son texte « Essai de classement des UST selon des catégories de mouvements temporels » in Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, op. cit., pp. 207-209.

8 Ingénieur au laboratoire CHART (Cognitions Humaine et Artificielle, anciennement laboratoire Cognition et usages), Université Paris 8.

9 Voir leur texte « Energie et UST » in Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, op. cit. (pp. 211-218).

10 La terrasse des audiences du clair de lune pour piano.

11 N° 178 (numéro spécial), été 2007 : « Art, mathématiques, langage et émotion », M. Timsit-Berthier : Approche "biosémiotique" des unités sémiotiques temporelles, pp. 57-62

12 Au point que, si une modification des étiquettes s'avérait impérieuse, on pourrait, face à Trajectoire inexorable, proposer pour Obsessionnel : Répétition inexorable.

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