La voix parle par mes lèvres,
La voix me traverse.
Elle murmure, chuchote, crie, hurle et se rompt aux portes closes de vos tympans !
La voix, sperme divin dont vous renaissiez hommes,
Verbe phallique de licorne,
Se brise, s’éparpille sur les murs nus, glacés, dressés par votre suffisance.
Qui l’écoute ?
Qui l’entend ?
Quel poète, emmuré dans votre frigide arrogance, pourrait encore s’abreuver du suc divin,
et se pencher pour recueillir avec humilité la liqueur déposée par un dieu
sur la frange des lèvres aimées de son humaine prophétesse ?

Non !
La fureur d’Apollon n’a pas paralysé ma langue.
Cassandre parle encore le langage divin.
Mais son miel se change en venin dont le crachat embourbe vos oreilles.
Humaine, trop humaine,
Il me fallait vos espoirs, vos rêves, votre foi pour que mon âme s’ouvre et devienne berceau.
Elle ne peut contenir seule l’amour infini d’un dieu.
Hommes englués d’orgueil, de certitudes,
Vous empilez pierre après pierre vos petitesses
Et vous hissez glorieux sur vos tas de gravats en prétendant avoir ainsi atteint les cieux.
Plus de questions, plus de doutes, plus de quêtes…
Aucun ventre de femme ne pourrait désormais accueillir la semence d’un dieu.
Vous êtes retournés à vos désirs d’Hélène,
A vos Eves clonées, modelables, muettes
Dont le son de la voix n’est que l’écho de vos pensées sans âmes.
Cagoulées, enfermées, lapidées, violées
Ou livrées nues à vos visions pornographiques,
Qu’importe !
Vous nommez « femmes » des chrysalides inhabitées.
Et les femmes vidées gloussent leur rire de poupées qui dissimulent tant bien que mal le trou béant de leur inexistence.
Lorsque parfois l’une d’entre elles, effleurée par la flamme d’un dieu compatissant se lève pour parler,
Vos angoisses, vos peurs s’agitent comme autant de grelots dont le vacarme assourdissant couvre sa voix.
Alors, pour étouffer un reste de conscience,
Vous lui clouez les lèvres à coup de rires goguenards
Et répétez en chœur pour mieux vous châtrer l’esprit,
Que Cassandre radote,
Cassandre ratiocine…

Stériles, dupliquées, assensées,
Vos paroles se clonent comme vos mammifères.
L’homme nouveau se rêve amibe,
C’est le chemin, dit-il, qui mène à l’immortalité.
Son index ne frôle plus le doigt de Dieu,
Il cliquette et copie-colle !

Claude Moreau Août 2002