Tel est le titre de ce concert. La raison en est double. Chacune des œuvres que nous vous proposons est personnalisée, à ce niveau, par une forme peu courante. Seconde raison : il y a là une allusion à l’une des « Scènes d'enfant » de Robert Schumann, Le poète parle. C’est affirmer que les auteurs revendiquent ici, tout autant, une sensibilité poétique.

Comment la forme peut-elle parler ? Un exemple : la dernière cantate de l’Avent de Jean-Sébastien Bach. L’une des composantes les plus prégnantes de la forme de cette cantate est son parcours harmonique, parcours alors sensible aux oreilles des fidèles. La cantate débute en mineur, symbole des ténèbres d’avant la naissance du Sauveur. Elle se termine en majeur, symbole de la rédemption par l’avènement de Jésus, Christ.

  • PASSAGE 2 (Version concert, musique : Marcel Frémiot, texte, programme informatique et visuel : Philippe Bootz)

Souvent les compositeurs de grands ballets, et parfois d’œuvres lyriques à succès en ont extrait des suites de concert. L’ordonnancement de ces suites obéissait, bien entendu, non pas au parcours du livret mais à la seule logique musicale. Nous avons agi de même avec PASSAGE. A l’origine il s’agit d’une proposition issue d’un générateur multimédia, conçu spécialement, gérant images fixes et/ou mobiles, texte littéraire à lire et/ou à entendre et musique inscrits sur un CD-Rom interactif. C'est-à-dire que tous ces éléments peuvent évoluer, en étendue, en temps lexical, en moment et vitesse d’apparition et de défilement. Tout cela selon des clics plus ou moins opportuns réalisés par le lecteur.

La version concert organise des moments choisis de ce processus. Que reste-t-il alors du projet initial ? L’imprévisibilité de la forme. D’où une sensation de méditation ballotée au gré d’événements dont l’organisation nous échappe…. Oserais-je dire : un peu comme dans la vie ? Il subsiste, au premier degré de lecture-audition, le projet des auteurs de créer un phénomène : celui où aucun des différents médias ne prend jamais le pas sur l’autre ; où tous concourent à stricte égalité à l’expression sensible comme au discours. Car il y a aussi discours, ici ; discours jamais imposé. Et c’est, en fin de compte, au lecteur-spectateur-auditeur à le faire émerger, à travers les relations qu'il découvre entre les différents médias mis en jeu.

  • GRAINS (vidéo de Frank Dufour en collaboration avec l'Université de Dallas, Texas, USA)

Ces grains sont des grains d'énergie qui donnent naissance au mouvement. Leur rencontres créent des formes dynamiques, des histoires, des trajectoires temporelles que F. Dufour projette sur un paysage. Il aime imaginer qu'une œuvre musicale n'est pas qu'un parcours sonore, mais un être en mouvement, avec ses élans, ses hésitations, ses répétitions, ses défauts, ses chutes. Il aime imaginer aussi qu'une œuvre soit un paysage temporel où de tels êtres se rencontrent.

  • vrai(semblable)ment* semblable vraiment** (*vidéo de Jean-Pierre Moreau sur des encres de Jacques Mandelbrojt, **version musique mixte avec Nicolas Bauffe : flûte)

Peut-on dire une semblable expression avec des moyens différents ? Un « Je t’aime » dit avec des roses est-il le même « Je t’aime » dit avec des calissons. Autrement dit : des formes différentes peuvent-elles vraiment exprimer le même semblable sentiment ? C’est la gageure que cherche à relever Jean-Pierre Moreau ; et qu’explicite bien le titre de son œuvre.
L’œuvre donc commence par exposer une proposition d’images projetées conjointes à une musique acousmatique. Ceci dans un dispositif à l’italienne. Puis voici que tout bascule. Le dispositif devient circulaire ; le son entoure l’auditeur, la musique devient essentiellement celle d’une flûte que l’on voit évoluer, l’image a physiquement disparu et doit être remémorée par le spectateur. L’œuvre est donc interactive ; mais loin de l’interactivité impulsée par des clics de souris des œuvres auxquelles leurs auteurs donnent ce label, l’interactif est, ici, mémoriellement intelligent.

Et la forme, que dit-elle ? Je ne saurais, a priori, vous le proposer …parce qu’elle est réalisée par ce que chacun projette de mémoire, et réalise intérieurement, en quantité et qualité. Nous sommes ainsi dans un cas de figure nouveau, et peut-être novateur.



Que la musique devient complexe, dites-vous ? - Non, elle l’a toujours été. Mais sa richesse fait qu’elle a toujours pu être reçue, semblablement, au premier degré. Puisse-t-elle alors vous plaire.

Marcel Frémiot