"vrai(semblable)ment"

Vidéo et Musique de Jean-Pierre Moreau
sur des encres de Jacques Mandelbrojt
assistant vidéo : Benjamin Dumont
(durée totale : 8 mn)

C’est un chantier important que nous ouvrons ici avec l’analyse en UST d’une vidéo : en effet, les nombreux échanges que nous avons eus avec des spécialistes d’autres médias (arts plastiques, multimédia, littérature, danse, typographie) ont ouvert notre approche de ce qui était à l’origine un outil d’analyse dédié à la musique : les UST. Cette confrontation nous a donc incités à vouloir tester notre outil sur un média qui réalise une sorte de synthèse entre différentes expressions. Nous avons abordé cet exercice en ayant conscience que les UST musicales pouvaient s’avérer inadaptées à ce nouveau matériau, qu’il faudrait donc en trouver des équivalents, voire en « inventer » de nouvelles.
Nous présentons ci-dessous ainsi que dans la page récapitulative nos premières observations sur le début de l’œuvre (jusqu’à 1' 12).
Ce travail est en cours et devra bien sûr être étayé ensuite sur une définition plus précise de la méthodologie employée et des nouvelles UST présentées.

Temps réel/temps virtuel

En préalable, il nous faut distinguer deux façons d’appréhender le temps :
- le « temps réel », c’est-à-dire celui de l’enchaînement des images, porté par la musique
- le « temps virtuel », suggéré par la vision d’un tableau en particulier, vision dans laquelle le regardeur imagine le geste du peintre et en éprouve la temporalité. Ainsi, les moments qualifiés de « Stationnaire » dans l’analyse de la vidéo seule permettent d’appréhender ce temps virtuel.

Les différents niveaux de l’analyse

Nous avons pris le parti d’analyser d’abord séparément les 3 « couches » temporelles que sont :
- les encres seules
- la musique seule
- la vidéo seule (la succession des images sans la musique),
puis de les mettre en regard avec le :
- « niveau global » (toutes les « couches » réunies).

Quelques observations

Dans cet extrait, on peut considérer 2 parties :
• jusqu’à 44" : partie dans laquelle le temps réel prend toute sa place
• à partir de 44" où l’arrivée en cut de la 4ème encre marque une sorte de rupture. Ici, c’est le temps virtuel qui prend le pas sur le temps réel : la succession simple, quasi sans effets visuels, permet au regard de prendre le temps d’apprécier chaque encre.

Pour illustrer le rapport qui peut exister entre chacune des couches temporelles et la globalité de la vidéo, on peut citer comme exemple le fait que, lorsque la 1ère encre apparaît (à 5"), son interprétation du point de vue du temps virtuel en tant que « Sans direction par divergence d'information » est gommée au profit du temps réel de la vidéo globale. Et celle-ci, renforcée par l’« Etirement » de la musique, s’interprète ici comme un « Contracté-étendu ». Un autre phénomène intéressant est à noter également dans la partie étendu de ce « Contracté-étendu » : l’énergie constante (« Stationnaire ») contenue dans le déroulement temporel de la partie musicale compense l’énergie en décroissance de la partie vidéo seule (« Trajectoire inexorable » de 5" à 13") pour produire au niveau global une énergie constante.

Enfin, dans le cadre de cette analyse en UST, on peut constater que les coïncidences temporelles entre la musique et l’image sont rares du point de vue des occurrences. Il y a cependant des coïncidences partielles d’interprétation : par exemple, au début, l’« Etirement » de la musique correspond à une « Trajectoire inexorable » de la vidéo seule et au Contracté du niveau global (ce qui, par ailleurs, peut montrer la familiarité qu’entretiennent ces 3 UST). Et on peut remarquer par trois fois des petits décalages (entre musique et images) : 8"/9", 57"/58", 1'08/1'09 ; tout ceci indique de la part du compositeur un traitement subtil du rapport musique/images.

Dans la page suivante de cette brève analyse, on trouve :

- un tableau récapitulatif de la segmentation des 4 couches temporelles analysées.
On pourra y remarquer la présence de nouvelles UST :

  • dans l’analyse du temps virtuel des encres : encre 3 : « Qui s’accumule, qui se construit, qui creuse », Unité Sémiotique Spatio-Temporelle (USST) qui fait intervenir la dimension de la profondeur ; encre 4 : « Qui se diffuse » ou « Qui explose » : à opposer à l’« Élan » du point de vue de la direction (directions multiples dans « Qui se diffuse »/une seule direction dans « Elan »).
  • dans la vidéo seule : « changement linéaire » (noté « C.L. ») qui correspond du point de vue technique à un fondu-enchaîné.

- trois annotations successives, respectivement : de la musique seule, de la vidéo seule, de la totalité de la vidéo.

Travail réalisé par Marcel Frémiot, Jacques Mandelbrojt, Jean-Pierre Moreau, Martine Timsit et Marcel Formosa